Victor Hugo, mon amour
En 1633, un jeune dramaturge tombe amoureux d'une princesse de théâtre. Jaloux, il lui demande d'abandonner la scène. Par amour elle accepte, et comme elle s'ennuie : << Ecris-moi, lui dit-il, écris-moi tout ce qui fera battre ton coeur ce qui te trottera par la tête, tout ce qui fera battre ton coeur. >>
Telle est l'origine de la merveilleuse correspondance que Juliette et Victor nous ont laissés en héritage de leur amour. De leur rencontre en 1833, lors de la lecture << Lucrèce Borgia >>, Jusqu'au 11 mai 1883, date à laquelle, après l'avoir adoré au point de tout lui sacrifier, elle ferme les yeux. A partir de cette époque, Victor Hugo cessa d'écrire, il ferma son encrier pour toujours. Preuve de son amour incommensurable pour celle qui fut sa muse.
En 1852 elle l'accompagna dans on exil à Jersey et puis en 1855 à Guernesey, mais sans jamais partager son toit. Elle lui écrivit tout au long de sa vie des milliers de lettres, qui témoignent d'un réel talent d'écriture selon Henri Troyat qui écrivit sa biographie en 1997.
Le 22 août 1834, Victor Hugo arrive à Étampes avec sa maîtresse Juliette Drouet, depuis Pithiviers et Yèvre-le-Chastel. Il y met par écrit ce poème tout inspiré par la passion que lui inspire Juliette Drouet
Poésie de Victor Hugo à Juliette Mon bras pressait ta taille frêle Et souple comme un roseau; Ton sein palpitait comme l'aile D'un jeune oiseau. Longtemps muets, nous contemplâmes Le ciel où s'éteignait le jour. Que se passait-il dans nos âmes ? Amour ! amour ! Comme un ange qui se dévoile, Tu me regardais dans ma nuit Avec ton beau regard d'étoile Qui m'éblouit. |
Correspondance de Victor Hugo à Juliette Drouet
7 mars 1833
Je vous aime mon pauvre ange, vous les savez bien, et pourtant vous voulez que je vous l'écrive. Vous avez raison. Il faut s'aimer, et puis il faut se le dire, et puis il faut se l'écrire, et puis il faut se baiser sur la bouche, sur les yeux, et ailleurs. Vous êtes ma Juliette bien-aimée. Quand je suis triste, je pense à vous, comme l'hiver pense au soleil, et quand je suis gai, je pense à vous, comme en plein soleil on pense à l'ombre. Vous voyez bien, Juliette, que je vous aime de toute mon âme. Vous avez l'air jeune comme un enfant et sage comme une mère, aussi je vous enveloppe de tous ces amours-là à la fois. Baisez-moi, belle Juju !
Septembre 1834
Je ne suis pas libre ce matin, et jamais pourtant je n'aurais eu tant besoin de te voir. Oh ! que je voudrais pouvoir courir chez toi en ce moment ! Comment vas-tu ? Comment as-tu passé la nuit ? Tu étais hier souffrante. Je suis dévoré d'amour et d'inquiétude. Oh ! ma joie, ma vie, ma bien-aimée ! Je suis triste ce matin. J'ai peur que les alliants et venants du dimanche ne m'empêchent d'être auprès de toi aussi vite et aussi longtemps que je voudrais. Pourvu encore que toi-même de ton coté tu puisses venir ! Pourvu que la fièvre que tu avais hier ne t'empêche pas de sortir aujourd'hui ! Oh ! plains-moi. Oh ! n'est-ce pas ? Tu viendras ? Tu te portes bien ? Je te verrai ? Oh ! J'ai tant d'amour à te donner, tant de baisers à te prodiguer, sur tes pieds parce que je te respecte, sur ton front parce que je t'admire, sur les lèvres parce que je t'aime ! Ce n'est pas une couronne que tu devrais avoir sur la tête, c'est une étoile.
Janvier 1835
Et qui résisterait à tes adorables lettres, Juliette ! Je viens de les lire, de les dévorer de baisers comme j'en dévorerais ta bouche si je te tenais là. Je t'aime. Tu vois bien que je t'aime. Est-ce que tout n'est pas là ? Oh oui, je te demande bien pardon à genoux et du fond du coeur et du fond de l'âme de toutes mes injustices. Je voudrais avoir là comme tout à l'heure ton pied, ton pied charmant, ta main, tes yeux et tes lèvres sous mes lèvres. Je te dirais toutes ces choses qui ne se disent qu'avec sourires et des baisers. Oh je souffre bien souvent, va, plains-moi. Mais je t'aime. Aime-moi !
Tes lettres sont ravissantes. Ma vie est faite des regards que me donnent tes yeux, des sourires que me donne ta bouche, des pensées que me donne ta journée, des rêves que me donne ta nuit. Dors bien cette nuit. Dors. Je pense que tu t'endors en ce moment. Je voudrais que tu visses cette lettre en songe, et le regard avec lequel j'ai lu les tiennes et le coeur avec lequel je t'écris celle-ci. Je te baise mille fois, Juliette bien-aimée, dans toutes les parties de ton corps, car il me semble que partout sur ton corps, je sens la place de ton coeur comme partout dans ma vie je sens la place de mon amour. Je t'aime tu es ma joie.
C'est à Villequier (76), le 21 novembre au Musée Victor Hugo, devant une quarantaine de personne, que nous avons eu le privilège d'écouter la lecture d'une partie de la correspondance échangée entre Victor Hugo et Juliette Drouet. Lecture effectuée par la comédienne Catherine Postic (juliette Drouet) et Martial Maynadier (Victor Hugo). L'un et l'autre mirent leurs émotions et leur sensibilité au service du texte afin de captiver les auditeurs.
Michelle Lechevalier, pour la chronologie des évènements, afin de mieux situer les lettres dans le temps et les associer à des moments de vie.
Catherine et Martial mirent leur coeur et leurs émotions dans la lecture de la correspondance de Juliette et de Victor.
La lecture semble simple a priori, mais la qualité du lecteur est de faire passer toutes les émotions et restituer les sentiments des auteurs.
Je ne peux que souhaiter qu'il soit réitéré ce genre d'initiative permettant à tous un beau moment de partage.
De gauche à droite : Michelle Lechevalier, Martial Maynadier et Catherine Postic (comédienne), lecteurs des correspondances de Victor Hugo et Juliette Drouet
Lettres choisies,
Victor Hugo, Juliette Drouet
Lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet (Ed. Fayard)
Juliette Drouet, Mon âme à ton coeur s'est donnée...
Victor Hugo (suite et fin)
La vie que Juliette Drouet, immense amoureuse de Victor Hugo, dédie toute entière à l'écrivain n'est pas pour autant une vie cloîtrée. Pendant plusieurs années, durant l'été, le couple part régulièrement en Normandie, en Bretagne,en Belgique, dans le Nord de la France au bord du Rhin. Ces voyages sont source d'inspiration pour Victor Hugo; il évoquera les paysages, en particulier la mer dans ses poèmes mais aussi ses peintures et dessins.
3 juin 1839, matin
Je sens couver en moi la maladie du voyage et je suis sûre même que ce que j'attribue à l'effet de la vaccine vient de la fièvre périodique du voyage. Et je ne crois pas qu'il y est d'autre ordonnance pour ce genre de maladie qu'un passeport, d'autre pharmacie que des auberges, d'autres émollients ou cataplasmes que les banquettes de diligence du cabriolet. Qu'en dites-vous ?
Moi je vous dis que je vous adore.
Juliette
Viendront ensuite les combats politiques : lors de la tourmente de 1848, Juliette Drouet tient un journal de l'insurrection que Hugo retranscrit mot pour mot.
Puis en 1851, c'est elle qui l'aide à quitter clandestinement Paris.
Durant 19 années d'exil, elle restera fidèle à son amour, le suivant partout, s'installant près de lui à Guernesey.
Elle lui apportera un soutien sans faille :
Guernesey 24 février 1870 matin 8h
Bonjour, mon cher grand bien-aimé adoré, et salut à la république dont le 22ème anniversaire se lève aujourd'hui. Puisse-t-il te rendre à ta chère France cette année quittée : Lumière, Honneur, Paix et bonheur. C'est le voeu Héroïque et dédintéressé de mon coeur (...)
Juliette
Après le retour à Paris en 1870; Juliette demeurera aux cotés de Hugo, l'aidant, l'assistant, veillant sur le foyer comme une épouse, continuant à l'adorer comme l'amante qu'elle n'avait jamais cessé d'être, poursuivant son écriture malgré la fatigue de l'âge :
Paris 11 juillet 1882 mardi matin 7h30
(...) Je ne sais quand ni comment cela finira, mais je souffre tous les jours de plus en plus et je m'affaiblis d'heure en heure. En ce moment, c'est à peine si j'ai la force de tenir ma plume et j'ai grand peine à garder la conscience de ce que j'écris. Je me cramponne cependant à la vie de toute la puissance de mon amour pour ne pas te laisser trop longtemps sans moi sur la terre.
Mais hélas ! La nature regimbe et ne veut pas (...)
Juliette
Elle s'éteindra en 1883; Victor Hugo deux ans plus tard seulement.
L'homme infidèle aura été pour Juliette le poète fidèle :
Quand deux coeurs en s'aimant ont doucement vieilli,
Oh ! quel bonheur profond, intime, recueilli !
Amour ! hymen d'en haut ! Ô pour lien des âmes !
Il garde ses rayons même en perdant ses flammes.
Ces deux coeurs qu'il a pris jadis n'en font plus qu'un.
Il fait, des souvenirs de leur passé commun,
L'impossibilité de vivre l'un sans l'autre
(Juliette, n'est-ce pas, cette vie est la nôtre
Il a la paix du soir avec l'éclat du jour,
Et devient l'amitié tout en restant l'amour !
Victor Hugo. Toute la lyre: VI, 64 (publication en 1897)
A la fin de l'exposition, un très beau et émouvant tableau représentant juliette Drouet au soir de sa vie (image), fait écho au portrait de la jeune juliette toute fraîche, rebondie, belle, et celui de Léon Noël qui souligne l'ovale parfait du visage, ses grands yeux noirs ses cheveux bruns et épais, ses épaules en courbes, ses lèvres charnues. Juliette Drouet est désormais une vieille femme, ses longs cheveux sont devenus blancs, sa peau est ridée.
Mais ses yeux noirs ont la même profondeur, expriment le même mélange de résignation, de calme, de pugnacité et d'ardeur.
Comme si son amour fidèle avait conservé son énigmatique beauté, imprimé en elle une présence passionnée à la vie, gardé intacte, visible alors dans la seule expression du regard, une éternelle jeunesse.
Enterrée au cimetière nord de Saint-Mandé, elle a voulu que fussent gravés sur sa tombe des vers que Hugo lui avait adressés en 1835 :
Quand je ne serai plus qu'une cendre glacée,
Quand mes yeux fatiguées seront fermés au jour,
Dis-toi, si dans ton coeur ma mémoire est fixée :
Le monde a sa pensée,
Moi j'avais son coeur !
Article paru le 25/11/2010 et modifié le 1/12/2010